Poéme de février 2018 : Jules Supervielle

Ne trouveras-tu jamais un contemporain ?

Et celui-là qui s’avance derrière de hauts cactus

Il n’a pas l’âge de ton sang qui dévale de ses montagnes,

Il ne connaît pas les rivières où se trempe ton regard

Et comment savoir le chiffre de sa tête receleuse ?

Ah ! Tu aurais tant aimé les hommes de ton époque

Et tenir dans tes bras un enfant rieur de ce temps-là !

Mais sur ce versant de l’Espace

Tous les visages t’échappent comme l’eau et le sable,

Tu ignores ce que connaissent même les insectes, les gouttes d’eau,

Ils trouvent incontinent à qui parler ou murmurer,

Mais à défaut d’un visage

Les étoiles comprennent ta langue

Et d’instant en instant, familières des distances,

Elles secondent ta pensée, lui fournissent des paroles,

Il suffit de prêter l’oreille lorsque se ferment les yeux.

Oh ! je sais, je sais bien que tu aurais préféré

Etre compris par le jour que l’on nomme « aujourd’hui »

A cause de sa franchise et de son air ressemblant

Et par ceux-là qui se disent sur la terre, tes semblables

Parce qu’ils n’ont pour s’exprimer du fond de leurs années-lumière

Que le scintillement d’un cœur

Obscur pour les autres hommes.

                         Jules Supervielle, Les Amis Inconnus (1934)