Poème du mois de mai 2017

Devant le pommier

Je ne meurs pas, avant d’avoir vu la vache

Dans l’étable de mon père


Avant que l’herbe ne rende ma langue acide

Et que le lait ne métamorphose ma vie.

Je ne meurs pas avant que ma cruche ne soit remplie à ras bord

Et que l’amour de ma sœur ne me rappelle

Combien est belle notre vallée

Où ils battent le beurre

Et tracent des signes dans le lard pour Pâques…

Je ne meurs pas, avant que la forêt n’envoie ses tempêtes

Et que les arbres parlent de l’été,

Avant que la mère ne sorte dans la rue avec un fichu rouge,

Derrière la charrette cahoteuse, où elle pousse son bonheur :

Pommes, poires, poulets et paille.

Je ne meurs pas, avant que ne se referme la porte par laquelle

Je suis venu

Devant le pommier.

                                                         Thomas Bernhard

                                             In « Sur la terre comme en enfer »