Taï-chi Chuan et thérapies alternatives

 

Le Taï-chi-chuan en Psychiatrie
à l’Hôpital André Jousselin à Dreux

 

J’ai commencé à enseigner le Taï-chi-chuan à Dreux depuis 1993 et notre groupe fait partie
du Cercle Laïque de Dreux depuis 1995. Chaque année, l’ensemble des adhérents de tous les
niveaux est d’environ une centaine de personnes, parmi lesquels se trouvent quelques médecins
dont certains assurent leurs fonctions à l’Hôpital de Dreux. Au fil des années, ils pensent qu’une
pratique de Taï-chi-chuan au sein de l’Hôpital ne peut être que bénéfique. Ainsi, par leur
intermédiaire, le Responsable de Pôle Psychiatrie m’a contacté pour intervenir dans son service
dès 2008.
J’interviens donc dans le service de l’A.D.A.J. (Adolescents, Adultes Jeunes), auprès des
patients âgés de 16 à 18 ans, en situation de crise et de souffrance psychique. Mis à part les
soins individuels prodigués inhérents au service, les activités d’accompagnement sont
nombreuses : peinture, écriture, yoga, sophrologie, ergothérapie, psychodrame et Taï-chi-chuan.
Elles sont basées sur la notion de médiation en psychologie et en psychothérapie. Elle tend à
prévenir, à traiter, à apaiser, à combler les déficits psychologiques… afin d’orienter le jeune
patient vers la voie de guérison.
L’organisation de l’activité Taï-chi-chuan est basée sur deux séances hebdomadaires le
mardi et le jeudi de 08h30 à 09h30 dans la salle polyvalente de l’ADAJ. J’y accueille les jeunes qui
sont volontaires et désignés par le médecin psychiatre suite aux entretiens. Au cours de la séance,
je suis toujours accompagné par la présence d’un personnel soignant. Des réunions plénières
annuelles avec tout le personnel soignant permettent des échanges et des ajustements très
constructifs pour la saison suivante.
Le profil des participants est très variable : tentatives de suicides, suicidaires, scarifications,
dépressions, apathies, délires…le groupe est par principe ouvert, les jeunes vont et viennent
selon la durée de leur séjour. Il peut être d’une semaine ou d’un an, voire plus pour certains. La
moyenne semble osciller entre deux ou trois semaines et deux ou trois mois.
Pour les jeunes :
- Enlever l’appréhension du toucher (soi-l’autre) : se toucher pendant l’échauffement
corporel s’avère difficile pour certains. On contourne cet obstacle en se concentrant sur
le rythme : chacun s’occupe de soi, pas le temps de regarder les autres ni être observés.
Par contre, je n’insiste pas sur la relation de soi-l’autre par le toucher à cause de la
fragilité psychique de certains.
- Conscience de soi : être soi-même déjà par le toucher, unité différenciée de l’autre,
contenance tonique, qualité de présence. Découverte et connaître son schéma corporel :
certains jeunes en crise négligent même jusqu’à ne plus se laver, leur présence dans un
groupe en activité les oblige à reprendre un début de la socialisation en commençant
par le soin du corps physique.
- Estime de soi : prendre soin déjà du soi-physique à travers un travail en douceur mais
sans mollesse ni trop de rigueur.
- Maîtrise de soi : à travers un tonus positif, être capable de mémoriser et de reproduire,
contrôler ses émotions.
- Conscience d’être : dans le temps-espace à l’instant, tonus posturale spécifique de cet
instant, vigilance, éveillé, émotions.
- Maîtrise de l’espace : composition avec la gravitation pour l’équilibre, appui en confiance
sur le support qui permet la détente, se redresser donnant accès à la verticalisation,
origine de la mobilité.
- Conscience d’être en mouvement : étape d’autonomie de mobilité, condition de liberté
de mouvement, liberté psychique de se mouvoir librement, se sentir bouger, décider,
s’investir.
- Conscience d’être en relation : perception de l’autre différent, du groupe.
- Notion d’effort : au cours de la séance, les patients exercent beaucoup de gestes et de
mouvements. Parfois, ils s’en lassent car ils ne réussissent pas à réaliser correctement
ou parce qu’ils sont en état de crise, ne voulant pas participer. Dans ce cas, je ralentis le
rythme et j’encourage avec mots réconfortants. Certaines personnes du groupe
spontanément se mettent à leur côté pour guider. Et au cas où cela ne suffit pas, je leur
explique qu’on peut arrêter la participation mais qu’après une respiration supplémentaire,
c’est cela la notion d’effort. Puis ils peuvent s’asseoir tranquillement à côté, mais sans
quitter la salle pour ne pas nuire au dynamique de groupe.
- Effet calmant, détente, relaxation, bien-être, lâcher-prise: le travail constant sur la
respiration longue et les mouvements lents pendant la séance engendre forcément ces
ressentis vers la fin, quel que soit l’état du participant au départ.
- Equilibre respiratoire et corporel : le rythme respiratoire accompagne le geste de façon
harmonieuse. La dissonance entre les deux provoque précipitation ou ventilation
saccadée, on s’éloigne du but recherché.
- Souplesse : la préparation corporelle, les étirements et l’échauffement produisent déjà
cet effet qui sera maintenu et développé pendant la séance.
- Attention : maintenue au cours de la séance, par la progression régulière des
mouvements. Parfois le changement de rythme permet de la recentrer.
- Esprit critique : pouvoir dire s’ils apprécient le Taï-Chi-Chuan (esthétique, poétique…)
ou critiquer (difficulté d’exécution du geste, difficulté d’accorder la respiration).
- Développer l’imaginaire, création : grâce au nom des mouvements (la grue blanche
déploie ses ailes, chevaucher le tigre, jouer du pipa, serpent qui rampe, le coq d’or sur
une patte, l’aiguille au fond de la mer…), les patients peuvent retrouver la posture
facilement dans sa globalité.
- Pour les personnes hypertoniques : liées à l’angoisse, de peur, de psychose, de
névrose, de malaise, d’anxiété, de doute, de grands conflits, de colère, de rage, de
culpabilité, de stress…l’activité peut orienter vers l’agréable s’il y a plaisir, désir,
excitation, curiosité.
- Pour les personnes hypotoniques : liées à la dépression, désespoir, d’impuissance,
détresse, vidés, sans ressort…l’activité peut apporter l’agréable s’il y a détente,
rencontre souhaitée, sympathie, tendresse.

 

Pour le personnel soignant accompagnant :
La discipline, dès le départ, suscite une vraie curiosité positive. Tous en ont déjà
entendu parler à travers les médias. Certains n’ont pas hésité à venir assister à quelques
cours en ville pour ressentir les effets dans leurs propre corps avant de participer à l’activité
proposée. Leur adhésion est très importante pour le déroulement de l’activité. Leur
présence peut être :
- Soit rester en retrait à l’écart pour observer : très utile quand il veut connaître
précisément le comportement d’un patient du groupe.
- Soit participer activement à l’activité : c’est le cas général. D’abord, il profite
personnellement de la séance. En plus, il est encourageant pour les jeunes patients de
les voir « faire » avec eux. Par ailleurs, ils voient aussi que les infirmiers peuvent être
aussi dans la difficulté. Il n’y a plus de barrière soignants-soignés. Certaines relations
sont ainsi de meilleure qualité, plus d’ouverture de paroles, de confidences, d’écoute de
consignes, ce qui confère parfois à un traitement plus efficace, un séjour plus léger ?

 

Pour les médecins :
A travers les réunions plénières, mes observations sur un tel ou un tel jeune,
permettent aux médecins psychiatres et psychologues d’avoir encore un autre point de vue,
très complémentaire, sur le comportement, l’évolution de la connaissance du schéma
corporel, la qualité de présence... Les ajustements sont ainsi plus affinés. Et leur avis me
donne des éclairages précieux sur la façon de se comporter des jeunes au cours de
l’activité.

 

Pour l’intervenant :
- Précision geste : la rigueur des gestes de l’intervenant enlève doute et indécision des
patients même s’ils ne peuvent retranscrire que partiellement.
- Précision vocabulaire : support indissociable du geste, favorisant l’imagination et
création chez les patients.
- Simplicité : permet l’adhésion car facile d’accès au geste, éloigne le découragement et
l’abandon.
- Efficacité : toute relative
- Exigence : il faut faire ressentir qu’on leur demande un certain travail mais toujours dans
leur possible capacité d’exécution.
- Adaptation : selon les séances, selon l’état des patients, il faut aménager voire changer
carrément l’optique des objectifs du jour (au lieu d’un coup de pied, privilégier un travail
respiratoire)
- Retour : un rapide entretien avec le personnel soignant présent à la fin de la séance
permet de mieux connaître et apprécier l’évolution de certains patients. Son observation
au cours de la séance me permet d’ajuster à la prochaine occasion. Plus d’une fois, je
me suis rendu compte que j’en apprends des jeunes patients autant sinon plus qu’ils en
apprennent avec moi, au vu de leur façon de se comporter devant une nouveauté, une
difficulté.

En conclusion :
Les hémisphères cérébraux sont responsables de la pensée, de la mémoire, du
jugement, du traitement des informations, des commandes des processus moteurs
conscients et de la contraction des muscles volontaires. Le Taïchi intervient à tous les
niveaux de la chaîne.
Les muscles des trois formes : raccourcis (forme concentrique) – de même
longueur (forme isométrique) – allongés (forme excentrique) sont indifféremment sollicités
par le Taï-Chi-Chuan.
Plus la pratique évolue, plus la réserve en ATP CP doit être reconstituée, rechargée
par les différentes filières (sucres, graisses..). Et c’est la phase aérobie qui intéresse
principalement le Taï-chi-Chuan.
Le Taï-Chi-Chuan a l’énorme avantage de solliciter et de gérer de façon simultanée
une multitude de facteurs interdépendants : paramètres psycho, squelettiques,
biomécaniques, cardiaques, cardio-vasculaires, musculaires. La maîtrise de l’ensemble
permet au Qi, l’énergie vitale de s’exprimer, sachant que le Qi ramène à l’équilibre et
l’efficience.
C’est un véritable travail sur le ressenti corporel, un médiateur privilégié largement
utilisé en psychomotricité, un véritable outil d’amélioration du fonctionnement du schéma
corporel, un véritable soin s’adressant aux pathologies issues d’une souffrance psychique
ou neurologique.

 

Dreux, le 02.10.2014
Chinh TRINH
Discipline Taï-Chi-Chuan Style Yang
Ecole “Nuage & Eau”