Lecture d'hiver "Sauf les fleurs"
Cette œuvre courte de 76 pages, vendue 9 Euros, a reçu le prix du premier roman. Cette récompense amplement méritée couronne une œuvre inclassable qui laisse l’auditeur et le lecteur sans voix.
SAUF LES FLEURS est bien un roman, qui raconte une histoire. L’histoire tragique d’une famille de paysans dont la mère, la fille Marthe qui narre l’histoire et le petit frère Léonce sont victimes de la brutalité du père dont on ne sait rien sinon qu’un jour il tue sa femme peut-être parce qu’il a découvert qu’elle avait un amant. Mais l’histoire est surtout celle de la narratrice dans la tête et le cœur de laquelle l’auteur nous plonge avec un style très personnel fait de phrases incomplètes, de mots qui se télescopent, d’ images et de figures de style déroutantes et poétiques.
SAUF LES FLEURS est donc aussi une sorte de long poème. La violence des brutalités du père et des douleurs qu’il inflige, la douceur et la chaleur des animaux de la ferme, celles de l’amour des enfants et de la mère, la beauté des fleurs fouettent l’auditeur (ou le lecteur), le déstabilisent sans relâche jusqu’au dénouement, le meurtre du père après celui de la mère et une brève période de bonheur pour Marthe, à l’étranger avec Florent, l’homme aimé.
Marthe jeune séduite par la lecture de l’ORESTIE d’ Eschyle se lance dans l’étude de grec ancien, pour devenir professeur dit-elle, aussi peut-être parce qu’elle s’apprête inconsciemment à revivre la même tragédie qu’Oreste. Cette fois c’est elle, une femme qui, comme Oreste, tue un de ses parents pour venger le meurtre de l’autre. Ce livre bourré de références littéraires a une fraîcheur étonnante. Il est à la fois savant, simple et sensuel. Les silences du texte rendent palpable le mystère des ressentis et des raisons des actes de la narratrice.
Avec beaucoup de délicatesse la lectrice respecte ces silences et laisse le texte s’infiltrer lentement dans la conscience des auditeurs. Chacun reçoit le texte avec sa culture, sa sensibilité et son expérience de situations semblables. Et l’on pourrait disserter à l’infini sur le sens des actes de Marthe sans parvenir à dégager un sens unique. Mais tout le monde est touché. Du grand art.
On ne remerciera jamais assez le Conseil régional pour cette initiative qui a permis en 2014 à plus de 14 000 personnes de découvrir au moins une œuvre contemporaine et le plaisir de la lecture à haute voix.